
M.Q. – Quelle est la situation concernant le recrutement de médecins dans votre région ? |
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E.E.— L. • La situation se dégrade d’année en année. Et on vit en ce moment, notre pire année. À Drummondville et à Victoriaville, quatorze places sont toujours vacantes selon le plan régional d’effectifs médicaux (PREM). Et aucune n’a encore été pourvue. Nous gardons quand même espoir d’avoir des candidats, car nous ne pouvons pas descendre plus bas. Dans la région du Centre-du-Québec, l’un des territoires de notre association, il y a 249 médecins de famille pour une population de 263 000 habitants. Nous sommes donc en déficit de 92 médecins par rapport à la moyenne québécoise. Et dans le Centre-du-Québec et à Thetford, 47 000 patients orphelins sont en attente d’un médecin. C’est beaucoup. |
M.Q. – Comment expliquez-vous cette situation ? |
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E.E.— L. • Les régions périphériques comme la nôtre semblent moins attrayantes pour les médecins. Nous avons le bonheur d’être assez proches des grands centres, mais le malheur de ne pas être assez éloignés pour obtenir des incitatifs financiers. De plus, nous devons composer avec le désintérêt de la jeune génération de médecins pour la médecine familiale. Chaque année, certains de nos postes de résidence restent vacants. Il faut dire que l’attitude négative du gouvernement québécois envers la médecine familiale ne contribue pas à encourager les résidents à choisir notre spécialité. Nos dirigeants doivent arrêter d’accuser les médecins de famille de tous les maux de la Terre. La réalité, c’est que ça irait beaucoup plus mal si nous ne donnions pas déjà notre 100 %. |
M.Q. – Des mesures ont-elles été mises en place pour faciliter le recrutement ? |
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E.E.— L. • Notre association vient de créer un comité pour explorer des solutions avec les élus locaux. L’idée est d’offrir aux médecins des incitatifs concrets pour qu’ils choisissent d’exercer dans notre coin de pays. Il peut s’agir d’incitatifs financiers, mais aussi d’aide pour trouver un logement ou une place en garderie, par exemple. On sait que la FMOQ est en négociation avec le gouvernement du Québec pour renouveler l’accord-cadre, mais nous ne pouvons pas seulement miser là-dessus. Il faut également se mobiliser localement. À plus long terme, nous comptons aussi attirer des omnipraticiens grâce aux travaux de modernisation et d’agrandissement de l’Hôtel-Dieu d’Arthabaska, à Victoriaville, qui devraient se terminer en 2028. Un hôpital à la fine pointe de la technologie, c’est attrayant pour les médecins ! Nous espérons aussi la construction d’un nouvel hôpital à Drummondville pour remplacer l’Hôpital Sainte-Croix qui est vétuste. Plusieurs médecins de famille se sont investis dans ce projet. |
M.Q. – Quelles autres initiatives peuvent rendre votre région attrayante pour les médecins ? |
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E.E.— L. • En juillet dernier, un GMF-U a été inauguré à Victoriaville. C’est le deuxième dans le Centre-du-Québec, après celui de Drummondville. Une petite équipe de médecins de famille motivés a travaillé cinq ans avec l’Université de Sherbrooke pour réaliser ce projet. Évidemment, tout le monde espère que les résidents qui y seront formés décideront de s’établir dans la région. D’ici là, trois des quatre postes en résidence ont trouvé preneur. C’est encourageant. La situation est cependant plus difficile au GMF-U de Drummondville qui a pourvu seulement deux de ses dix places en résidence cette année. J’aimerais tout de même souligner le dévouement de ses médecins enseignants, qui consacrent beaucoup de temps et d’efforts depuis dix ans à former les résidents et à essayer de les retenir dans notre région. |
M.Q. – Il y aurait aussi un projet de campus délocalisé ? |
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E.E.— L. • L’Université de Sherbrooke pourrait en effet ouvrir un campus délocalisé de formation en médecine à Drummondville dans quelques années. Mais d’ici là, il est question d’offrir aux étudiants en médecine la possibilité de faire leur externat ici, ce qui nous donnerait plus de temps pour leur présenter les attraits du territoire et leur montrer les avantages d’y exercer. En les accueillant plus jeunes, nous allons peut-être réussir à en garder davantage. Ce projet pourrait également être bénéfique pour promouvoir la médecine familiale, parce qu’en région, les étudiants sont beaucoup plus en contact avec des médecins de famille que dans les grands centres. Par ailleurs, un effort collectif a été fait pour augmenter le nombre de cliniques médicales offrant des stages en médecine de famille pendant l’externat. Nous en avons désormais sept dans Arthabaska-Érable, dont deux sont devenus des GMF-AU, une nouvelle dénomination qui signifie « affilié universitaire ». Il s’agit d’un projet pilote où des GMF s’associent à une université pour accueillir des externes et des infirmières praticiennes spécialisées dans le cadre du volet de stage en médecine familiale en cabinet. Notre objectif est de travailler en amont de la résidence pour amener les étudiants à aimer et à choisir la médecine familiale. |
M.Q. – Que diriez-vous aux futurs médecins pour les convaincre de s’établir dans le Centre-du-Québec ? |
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E.E.— L. • Comme il y a moins de médecins spécialistes que dans les grands centres, la pratique en médecine familiale y est encore plus polyvalente et stimulante. Outre la prise en charge, nos médecins de famille peuvent explorer plusieurs facettes de la profession, de l’obstétrique aux soins palliatifs, en passant par les petites chirurgies, les soins aux patients instables, la pédiatrie, l’urgence, la gériatrie, etc. Ils disposent d’une grande autonomie dans leurs milieux de pratique, tout en obtenant du soutien des médecins spécialistes au besoin. C’est vraiment le meilleur des deux mondes. |
M.Q. – Comment est le climat sur le terrain en ce moment ? |
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E.E.— L. • Plutôt morose, je dirais. Nos membres en ont assez d’entendre constamment des propos négatifs à leur sujet. Ils sont excédés aussi de voir le gouvernement adopter une loi coercitive après l’autre pour diminuer l’autonomie des médecins. Le manque de financement en première ligne est également une importante source de mécontentement. Les GMF, notamment, sont sous-subventionnés. Le rajustement des sommes versées pour leur fonctionnement ne suit même pas l’augmentation du coût de la vie. En tout cas, si les coûts du système de santé sont en hausse, l’argent ne va pas en première ligne ! Cela dit, même si ce n’est pas toujours facile, les médecins continuent de travailler fort et de tenir le système de santé à bout de bras. Mais ils sont inquiets. |
M.Q. – Qu’est-ce qui les inquiète ? |
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E.E.— L. • Ils s’inquiètent pour l’avenir de la médecine familiale. On voit de jeunes médecins se questionner sur leur place dans le système de santé, perdre leur motivation. Coercition, lois, restrictions, obligations. On ne nous parle que de cela. Et ce n’est pas ce que les jeunes veulent entendre. Quand ils choisissent la médecine, ils souhaitent une certaine autonomie de pratique. Cette génération accorde aussi une grande importance à la qualité de vie. En ce moment, nous sommes loin de projeter une image de vie saine et équilibrée. Il faut qu’un changement de ton se produise, sinon le désintérêt envers la médecine familiale va finir par mettre en danger notre belle profession. |