
Les Drs Sylvie Rheault et Tristan Zotier sont médecins de famille à la clinique désignée d’évaluation de la COVID-19 de Saint-Jérôme. Le Dr Jean-Sébastien Carrier est pneumologue à l’Hôpital régional de Saint-Jérôme. La Dre Emilia Liana Falcone est infectiologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Elle est aussi directrice de la clinique de recherche post-COVID-19 et de l’unité de recherche sur le microbiome et les défenses mucosales à l’Institut de recherche clinique de Montréal. |
Mme Keen, 70 ans, a eu la COVID-19 il y a trois mois et présente toujours de la fatigue et une dyspnée invalidantes, des troubles neurocognitifs légers, etc. La liste de ses symptômes est longue. Bien que ses besoins en oxygène diminuent, elle reçoit toujours une oxygénothérapie à domicile. Elle est même subfébrile en soirée à l’occasion. Encore en très grande forme physique et très active avant la COVID-19, elle devait prendre sa retraite seulement plus tard cette année. Toutefois, elle n’est finalement pas retournée au travail.
Mme Lavoie, 42 ans, atteinte de BPCO légère, a été hospitalisée quelques jours il y a quatre semaines en raison de la COVID-19 . Elle a été intubée et a séjourné 48 heures aux soins intensifs. Elle est plus dyspnéique qu’avant, mais son état s’améliore légèrement. Elle doit revoir son pneumologue demain pour un suivi post-hospitalisation et des épreuves de fonction respiratoire. Elle a finalement cessé de fumer, car elle s’étouffait. Sa voix est éteinte et rauque, ce qui l’incommode beaucoup, car elle n’arrive pas à se faire comprendre au téléphone.
Approche par symptômes
Il s’agit de la troisième et dernière partie d’une série d’articles sur la prise en charge des affections post-COVID-19 longue. L’approche générale est présentée dans le premier article, la figure 1 résumant l’évaluation et le bilan initial. Le deuxième article traite de la fatigue et des symptômes neurologiques et musculosquelettiques. Ce troisième article aborde les symptômes respiratoires et cardiaques ainsi que ceux des autres appareils et systèmes.
Symptômes, maladies et examens pulmonaires
Une proportion importante des patients présente des symptômes pulmonaires prolongés jusqu’à six mois1 après l’infection initiale par le SARS-CoV-2. Les anomalies respiratoires comprennent une toux, une dyspnée, des changements pulmonaires fibrotiques (pneumopathie interstitielle), des bronchiectasies et une vasculopathie pulmonaire. Selon une étude du Centers for Disease Control (CDC), 35 % des patients atteints de COVID-19 n’étaient pas de retour à la normale comparativement à 10 % pour les infections par l’influenzavirus pour une même période2. Certains guides pratiques, comme celui de la British Thoracic Society, recommandent un suivi clinique de quatre à six semaines après l’hospitalisation pour la COVID-19. Des épreuves de fonction respiratoire, dont l’évaluation de la capacité de diffusion, sont demandées après la COVID-19 si les symptômes respiratoires persistent, progressent ou si des nouveaux apparaissent.
En cas de forts symptômes respiratoires persistants, un programme de réadaptation pourrait être envisagé. Une étude a montré une amélioration de la fonction respiratoire des patients âgés après six semaines de réadaptation. Ceux présentant un déconditionnement physique après leur hospitalisation pour la COVID-193 en tireraient les plus grands bienfaits. Le tableau I liste les critères d’orientation en réadaptation pulmonaire en externe ou en interne au Québec. Ils peuvent différer d’un établissement à l’autre. Plusieurs patients récupéreront spontanément au cours des six premières semaines suivant leur infection et n’auront pas de réadaptation.
Étant donné que la COVID-19 augmente les risques de thrombose, les embolies pulmonaires et leurs complications (comme la maladie thrombo-embolique chronique et l’hypertension pulmonaire) seront recherchées.
Quatre mois après la COVID-19, les patients ayant eu recours à l’oxygénothérapie durant leur hospitalisation présentaient encore une fonction respiratoire diminuée (réduction de la capacité de diffusion du monoxyde de carbone (DLCO) et de la capacité pulmonaire totale) ainsi qu’une altération de leur tolérance à l’effort établie par une diminution de la distance parcourue au test de marche de six minutes4.
Dyspnée
La prise en charge de la dyspnée est la même que chez les patients qui ne sont pas atteints de la COVID-19. L’intensité et l’évolution de la dyspnée ainsi que les symptômes accompagnateurs guideront l’évaluation, au besoin. Un examen d’imagerie pulmonaire sera souvent requis, une radiographie pulmonaire étant généralement suffisante. Toutefois, une tomodensitométrie thoracique avec ou sans agent de contraste sera demandée en cas d’anomalies inexpliquées ou de présomption d’embolies pulmonaires. En cas de dyspnée nouvelle ou aggravée, le dosage des D-dimères permettra d’établir le risque thrombo-embolique. Si le patient a une atteinte cardiaque en phase aiguë de COVID-19 ou a des antécédents de maladie cardiaque, le dosage du BNP et une échographie cardiaque s’ajouteront au bilan. Le recours à un journal des symptômes, à l’oxymétrie à domicile5,6 et à l’échelle de Borg5 (tableau II7) permettra au patient de prendre en charge sa dyspnée. Pour la dyspnée au repos, des exercices respiratoires à l’aide d’un spiromètre (appareil Inspiron ou autre) sont prescrits, en particulier si des atélectasies sont visibles à l’imagerie pulmonaire. Le réentraînement respiratoire5,8 (encadré 18) constitue un outil pour améliorer le patron respiratoire qui est souvent altéré et provoque une baisse d’efficacité de la respiration. La respiration superficielle avec réduction de l’utilisation du diaphragme et augmentation du recours aux muscles accessoires élève la dépense énergétique et cause une fatigue et une sensation de dyspnée accrues. S’il n’y a pas d’atteinte de la fonction respiratoire ni d’anomalies radiologiques, le patient peut effectuer lui-même des exercices respiratoires qu’il apprendra en ligne (encadré 2). Le médecin de famille peut diriger ses patients qui présentent des symptômes respiratoires persistants (excluant la dyspnée de repos isolée), mais qui ne répondent pas aux critères du programme de réadaptation vers la téléréadaptation offerte par l’Association pulmonaire du Québec. Les séances ont lieu en temps réel sur Zoom et sont supervisées par des inhalothérapeutes et des kinésiologues. Les patients ont aussi accès à des vidéos pour pratiquer de façon autonome.
Pour la dyspnée d’effort, le degré d’activité physique sans risque de détérioration subséquente selon la saturation et l’échelle de Borg5 (tableau II7) sera visé. L’enseignement des techniques de respiration pendant une activité5 et du positionnement5 facilitant la récupération est recommandé. Après la période de contagiosité, l’emploi d’un ventilateur ou d’un éventail5 permet de diminuer la sensation de dyspnée. Pour la désaturation à l’effort, le degré d’activité et de récupération sera établi selon les valeurs de saturation mesurées et les résultats à l’échelle de Borg5 (tableau II7). Le patient recevra de l’information sur la façon de prendre en charge ses désaturations5, notamment à l’aide de certains sites Internet (encadré 2). Il reprendra graduellement ses activités en commençant par celles qui n’entraînent pas de désaturation5. Les patients ayant besoin d’oxygène à domicile recevront les mêmes renseignements sur la gestion de leurs activités, en plus d’apprendre à gérer leur oxygène. Une équipe de soutien à domicile sera souvent présente. La figure5 résume les interventions visant la prise en charge des symptômes respiratoires.
Images radiologiques pulmonaires anormales
Sur le plan radiologique, des études ont décrit la présence d’infiltrations en verre dépoli dans les poumons chez 90 % des patients trente jours après le début des symptômes9. Après trois mois, environ 50 % des patients présentent toujours des anomalies pulmonaires à la tomodensitométrie10. Chez les patients dont les images radiologiques sont anormales au moment du congé de l’hôpital, une radiographie pulmonaire de contrôle après douze semaines est suggérée. Après ce délai, si les symptômes ou les anomalies radiologiques persistent, des examens supplémentaires seront nécessaires en fonction de l’évaluation clinique. Une orientation en pneumologie sera demandée11. Par contre, le délai fixé pour une résolution radiologique complète est actuellement inconnu.
Toux
Si la toux persiste plus de douze semaines après la COVID-19, il faut envisager une maladie préexistante prédisposant à une toux chronique. Les causes usuelles doivent être éliminées, notamment les problèmes de la sphère ORL, le reflux gastro-œsophagien et l’asthme. La prise en charge de ces entités demeure la même qu’en période pré-COVID. Une consultation plus rapide pourrait être nécessaire dans certains cas (ex. : surinfection bactérienne, processus inflammatoire ou auto-immun). Le patient sera donc informé des symptômes qui demandent une évaluation rapide : augmentation de la dyspnée, diminution des valeurs d’oxymétrie, douleurs thoraciques nouvelles ou aggravées, fièvre ou confusion nouvelle. Selon les maladies concomitantes et les symptômes du patient, d’autres situations exigeront une attention médicale rapide. Les données actuelles ne permettent pas de retenir un diagnostic de toux post-virale. Par conséquent, il s’agira d’un diagnostic d’exclusion. Après la COVID-19, le patron respiratoire est souvent altéré et la pratique d’un patron normal aidera le patient à maîtriser sa toux8. Un médicament antitussif peut être envisagé sur une courte période si la toux gêne le sommeil ou est importante.
Fibrose pulmonaire
Les patients souffrant de fibrose pulmonaire post-COVID-19 et de symptômes persistants devraient être dirigés en pneumologie. L’efficacité des antifibrosants (nintédanib et pirfénidone) dans les cas de COVID-19 n’est pas connue à ce jour, mais des études (FIBRO-COVID, NINTECOR) sont en cours.
Infections pulmonaires à répétition
Certains patients présenteront des infections pulmonaires à répétition après la COVID-19. En plus du bilan comprenant une formule sanguine complète, une sérologie du VIH avec le consentement du patient ainsi qu’une culture des expectorations, une imagerie pulmonaire pour vérifier la présence de bronchiectasies sera demandée12. En cas d’antécédents d’étouffement à la déglutition, l’évaluation en cherchera la cause afin d’éliminer des aspirations5. Le patient aura de l’enseignement sur les stratégies d’expectoration des sécrétions5. Le professionnel s’assurera de l’optimisation du traitement des problèmes respiratoires5. Une consultation en spécialité sera demandée, au besoin.
Douleur thoracique
Les douleurs thoraciques sont communes dans la COVID-19 longue et doivent faire l’objet d’une évaluation médicale. La priorité clinique est de distinguer les douleurs graves d’origine cardiaque, pulmonaire et vasculaire de celles d'origine musculosquelettique et des autres douleurs thoraciques non spécifiques et bénignes. La douleur thoracique post-COVID-19 la plus caractéristique est décrite comme une sensation de brûlure pulmonaire. Sa prise en charge est la même que pour les douleurs thoraciques habituelles en clinique8. Lorsque les douleurs thoraciques étaient déjà présentes au moment de l’hospitalisation et que leurs caractéristiques et leur emplacement n’ont pas changé, le dossier médical constitue une source importante d’information permettant d’empêcher la duplication des examens paracliniques. Lorsque la douleur thoracique est causée par l’activité physique et qu’une origine cardiaque a été éliminée, le patient veillera à diminuer l’intensité ou la durée de l’exercice et évitera le surmenage5.
Symptômes cardiovasculaires
Plusieurs manifestations cardiaques sont également présentes dans la COVID-19 longue. De 20 % à 30 % des patients hospitalisés pour la COVID-19 présentent des atteintes myocardiques6. Les complications cardiopulmonaires et les séquelles cardiaques à long terme, qui peuvent survenir plusieurs semaines après l’infection aiguë, comprennent une demande cardiométabolique accrue, la myocardite, la péricardite, l’infarctus du myocarde, la fibrose myocardique ou cicatricielle (détectable à l’IRM cardiaque), l’insuffisance cardiaque, l’arythmie, la tachycardie, le dysfonctionnement du système nerveux autonome et les embolies pulmonaires6,8. Ces complications sont plus fréquentes chez les personnes souffrant d’une maladie cardiovasculaire préexistante6,8. Les myocardites causées par d’autres pathogènes peuvent évoluer vers un dysfonctionnement cardiaque, et des morts subites ont même été décrites dans la phase de convalescence. Le bilan paraclinique pourra inclure le test de marche de 6 minutes lorsque les AVQ et AVD sont touchées, en plus des examens habituels pour les symptômes du patient. Par contre, le test de marche de 6 minutes devra être omis si le patient éprouve des malaises graves après l’effort pendant plusieurs jours pour un effort équivalent à celui du test. En cas de complications cardiovasculaires durant la phase aiguë de la COVID-19 et de symptômes persistants, un suivi clinique et une surveillance de l’évolution de l’état du patient par ECG ou échocardiographie en série6 sont de mise.
Tous les patients atteints de myocardite ou de péricardite doivent éviter les exercices cardiovasculaires intenses pendant trois mois. Quant aux athlètes, ils seront avisés de prendre de trois à six mois de repos complet de l’entraînement cardiovasculaire. Le retour à l’entraînement doit être suivi par un spécialiste et guidé par l’état fonctionnel du patient, les biomarqueurs, l’absence d’arythmie et une fonction ventriculaire gauche normale8.
Palpitations et tachycardie
Les palpitations et la tachycardie sont fréquentes dans la COVID longue. Les patients vont se plaindre de palpitations à l'effort et au repos, généralement plus fréquentes et intenses en soirée. Les circonstances provoquant le symptôme doivent être recherchées, en particulier si l'orthostatisme semble y contribuer. En cas de palpitations liées à l'orthostatisme, il faut éliminer un syndrome de tachycardie posturale. La pression artérielle ainsi que le pouls seront alors mesurés en position couchée et debout pour tenter de reproduire les symptômes et constater la présence d’une hypotension orthostatique ou d’une tachycardie (voir la section « Dysautonomie, hypotension orthostatique et syndrome de tachycardie posturale », du deuxième article de cette série dans le numéro précédent). Un ECG fera partie des examens de base. Si les palpitations sont importantes, persistent ou progressent, un Holter pourra être demandé. Un examen par table basculante est rarement nécessaire et devrait être réservé aux patients qui font des syncopes ou de l’orthostatisme grave inexpliqué et qui n’ont pas de contre-indications à l’examen (ex. : maladies cardiaques ou valvulaires connues).
Événements thrombo-emboliques
Après la phase aiguë de la COVID-19, les événements thrombo-emboliques touchent moins de 5 % des patients. La durée de l’hypercoagulabilité causée par le SARS-CoV-2 demeure cependant inconnue. Les cliniciens doivent rester alertes et rechercher au besoin une thrombose en cas de symptômes compatibles. Après l’évaluation des risques et des avantages, une thromboprophylaxie pourrait constituer une option raisonnable pour les patients ayant déjà des facteurs de risque importants, comme l’immobilité, un taux de D-dimères deux fois plus élevé que la normale ou une maladie comorbide entraînant un risque, comme un cancer actif6. Si un événement thrombo-embolique est diagnostiqué, l’anticoagulation, les examens paracliniques et le suivi doivent respecter les lignes directrices courantes8.
Symptômes psychiatriques
Un premier diagnostic psychiatrique est plus fréquent pour la COVID-19 que pour les autres infections respiratoires13. La médicalisation du problème est à éviter8. Le trouble de l’humeur du patient sera considéré comme le résultat de la COVID-19 plutôt que comme la cause primaire des symptômes psychiatriques3. Le traitement non pharmacologique5 inclura des informations sur la relaxation et la méditation de pleine conscience, des activités restauratrices, des groupes de soutien et du soutien par les pairs. Une consultation en psychologie sera demandée au besoin selon l’accessibilité. Si l’évolution est défavorable ou que les symptômes sont graves, un traitement pharmacologique pourra être commencé, en plus du traitement non pharmacologique. L’agent prescrit devrait idéalement pouvoir agir sur les autres symptômes post-COVID.
L’hypoxémie devra être recherchée, car elle entraîne une puissante réponse de stress. Ce déséquilibre des hormones de stress peut provoquer de l’anxiété de novo. D’ailleurs, les patients atteints de maladies respiratoires sont plus susceptibles que le reste de la population d’en souffrir.
Symptômes gastro-intestinaux
Le SARS-CoV-2 peut être excrété dans les selles même si le test PCR nasopharyngé ne détecte plus d’ARN viral. La COVID-19 a le potentiel d’altérer le microbiote intestinal, particulièrement en favorisant la prolifération d’organismes opportunistes et la déplétion des organismes commensaux bénéfiques6. Une plus forte incidence d’infection à Clostridium difficile est ainsi signalée chez les patients atteints de COVID-19. L’antibiothérapie demeure donc un facteur de risque, mais l’association est faible en cas de COVID-1914. Devant une diarrhée prolongée, il est important d’éliminer une cause infectieuse, notamment une colite à Clostridium difficile. Des études sont en cours pour évaluer les conséquences à long terme de la COVID-19 sur l’appareil digestif, dont la dyspepsie et un syndrome de l’intestin irritable post-infectieux6.
Séquelles rénales
En phase aiguë de COVID-19, une atteinte rénale survient chez 5 % des patients hospitalisés et chez de 20 % à 31 % des patients dans un état critique. Une baisse du taux de filtration glomérulaire est signalée chez 35 % des patients après une hospitalisation pour la COVID-19, malgré une fonction rénale normale chez 13 % d’entre eux en phase aiguë6. La néphropathie associée à la COVID-19 (COVAN de l’anglais COVID-19-associated nephropathy) ressemble à l’atteinte causée par le VIH (HIVAN de l’anglais HIV-associated nephropathy) et par d’autres virus. Les patients d’origine africaine sont plus susceptibles de connaître cette complication en raison des variants du gène APOL16. Un suivi de la fonction rénale est recommandé, en particulier si le patient a présenté une atteinte rénale aiguë, une insuffisance rénale aiguë, une diminution du taux de filtration glomérulaire, une hématurie ou une protéinurie.
Séquelles endocriniennes
Des acidocétoses diabétiques ont été vues chez des patients qui n’avaient jamais souffert de diabète, des semaines voire des mois après la COVID-19. Après l’infection aiguë, la durée pendant laquelle un patient pourrait être prédisposé à l’acidocétose diabétique ou à une exacerbation d’un diabète existant ou de novo n’est pas connue. Des thyroïdites entraînant des manifestations de thyréotoxicose ont aussi été constatées. La COVID-19 pourrait favoriser l’apparition d’une thyroïdite de Hashimoto ou d’une maladie de Graves latente. Enfin, la COVID-19 augmente également le risque de déminéralisation osseuse6.
Fertilité et trouble sexuel
Les testicules et les ovaires expriment des récepteurs pour l’ACE-2 que le SARS-CoV-2 utilise pour envahir les cellules. Ces organes, comme tous les autres, sont également susceptibles de subir des dommages microvasculaires engendrés par la COVID-19. Certains spécialistes ont donc fait part de leurs préoccupations concernant la fertilité15,16 à long terme après la COVID-19. La mesure des paramètres de fertilité chez les femmes en âge de procréer semble indiquer une baisse de la réserve ovarienne et des troubles endocriniens liés à la reproduction15. Le trouble érectile pourrait toucher jusqu’à 28 % des hommes souffrant de COVID-1916. En plus des dommages microvasculaires provoquant un dysfonctionnement endothélial, une atteinte du système nerveux autonome pourrait être en cause. Des études sont en cours sur des cohortes plus nombreuses afin de préciser les effets réels. En cas de trouble érectile, les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5, comme le sildénafil, peuvent être tentés. Bien qu’un faible taux de testostérone ait été associé à certaines issues défavorables, des études supplémentaires sont requises pour savoir si son effet est bénéfique ou nuisible en ce qui a trait à la COVID-1916.
Problèmes dermatologiques
Les symptômes dermatologiques sont présents chez 64 % des patients après la phase aiguë de la COVID-19, mais chez juste 15 % pendant l’infection aiguë6. Seulement 3 % signale une éruption après six mois1. À long terme, l’alopécie est le symptôme plus fréquent et est mentionnée par environ 20 % des patients6.
La perniose, communément appelée « orteils COVID-19 », ressemble à des engelures et survient plus tardivement après une infection par le SARS-CoV-2. Chez la plupart des patients, le dépistage par PCR ne mettra pas en évidence le virus. Une sérologie pourra alors être demandée. En général, les lésions vont se résorber de façon spontanée en deux semaines, particulièrement chez les enfants et les adolescents. Si elles durent plus de trente jours, il est recommandé de diriger le patient en spécialité pour rechercher une cause sous-jacente qui aurait été déclenchée par la COVID-19. Même s’il faut la soupçonner, une personne se présentant pour une perniose n’est pas nécessairement atteinte de COVID-19. Dans une série de 31 patients souffrant de perniose, aucun n’a obtenu de résultat positif au test de dépistage du SARS-CoV-2 par PCR ou par sérologie17.
Troubles de la voix
Les troubles de la voix, dont la dysphonie et la fatigue vocale, sont peu signalés, même si jusqu’à 15,7 % des patients non hospitalisés en auraient toujours après un mois18. De plus, la prévalence pourrait être encore plus élevée chez les patients intubés, car des lésions aux cordes vocales sont fréquentes après une intubation. Une altération de la fonction respiratoire peut également se manifester par une modification de la voix. Le clinicien devra donc vérifier la capacité pulmonaire en cas de dysphonie19. La prise en charge des troubles de la voix comprend des traitements et des conseils sur l’hygiène vocale et le repos de la voix et peut inclure une consultation en ORL et en orthophonie, au besoin5. L’article de Parkin et coll. aborde aussi les troubles des voies respiratoires supérieures et des symptômes laryngés liés au reflux gastro-œsophagien5 et pourra être consulté, au besoin.
Autres symptômes de la COVID-19 longue et considération du clinicien
Plusieurs autres symptômes peuvent se manifester après la COVID-19. Il faut évidemment les traiter, qu’ils aient un lien ou non avec la COVID-19. Il faut faire preuve d’humilité en tant que clinicien et reconnaître que beaucoup d’aspects demeurent inexpliqués et incompris. Des travailleurs de la santé atteints de la COVID-19 longue ont déploré le fait que leurs symptômes handicapants étaient peu considérés et méconnus par le personnel de la santé qu’ils ont consulté20. L’aspect psychologique de la maladie doit être abordé dans le processus de réadaptation, mais ne doit pas être vu comme la cause principale des symptômes dès l’évaluation initiale. Une évaluation approfondie par un professionnel de la santé est attendue, dont un examen physique pour repérer le dysfonctionnement des organes et le prendre en charge en priorité20.
Conclusion
Compte tenu des besoins importants engendrés par le traitement médical des séquelles de la COVID-19, les professionnels de première ligne seront appelés à jouer un rôle central. Certains symptômes ou le regroupement de plusieurs symptômes exigeront une évaluation plus poussée. Les symptômes nouveaux, persistants ou qui progressent nécessiteront une orientation en spécialité8. Pour les atteintes multisystémiques, une orientation vers une équipe multidisciplinaire est souhaitable quand elle est accessible5.
Le bilan de Mme Keen montre que son taux de protéine C réactive a diminué, mais qu’il est toujours trop élevé, et qu’elle a des opacités persistantes à la radiographie pulmonaire. À l’anamnèse, vous notez un trouble de stress post-traumatique et des troubles neurocognitifs légers.Sa saturation au repos est de 88 % à l’air ambiant. Elle n’a pas été en mesure de terminer le test de marche de 6 minutes, car elle se disait incapable de continuer malgré un repos de trente secondes. Elle présentait alors des étourdissements, de la faiblesse, une tachycardie importante, de la tachypnée, une désaturation et des tremblements des membres inférieurs. Elle évaluait sa dyspnée et sa fatigue à 9/10 sur l’échelle de Borg. Comme elle a séjourné aux soins intensifs, vous soupçonnez que le déconditionnement et le syndrome post-soins intensifs contribuent à son état, en plus de la COVID-19 longue. Elle est incapable de vaquer à ses AVQ et à ses AVD et doit recevoir l’aide de sa famille. Elle présente une atrophie ainsi qu’une diminution de la force segmentaire des quadriceps. Elle accepte d’être dirigée vers un programme interne de réadaptation pulmonaire.
À l’anamnèse de Mme Lavoie, vous constatez qu’elle est plutôt d’humeur dépressive, mais que son état s’améliore avec le temps. Sa voix est faible et rauque lors de l’entrevue. Son examen physique est sans particularité, si ce n’est que sa saturation au repos est à la limite inférieure de la normale. Sa radiographie au moment de son hospitalisation montrait des opacités en verre dépoli en périphérie des deux bases. Vous la dirigez donc en ORL ainsi qu’en orthophonie. Vous lui expliquez que son atteinte vocale peut résulter autant de la COVID-19 que d’une atteinte de ses cordes vocales ou d’une baisse de sa fonction pulmonaire. Vous lui tendez une note d’évolution à remettre au pneumologue. Vous lui envoyez les adresses Internet pour la prise en charge de ses symptômes liés à l’atteinte de sa voix et à sa dyspnée. Vous prévoyez un rendez-vous de suivi et lui mentionnez que vous êtes disponible entre temps au besoin.
Ce que vous devez retenir
h Chez les patients dont les images radiologiques sont anormales, un examen de contrôle est suggéré après douze semaines.
h Devant une diarrhée prolongée, il est important d’éliminer une cause infectieuse, notamment une colite à Clostridium difficile.
h La prise en charge actuelle des affections post-COVID-19 repose sur l’expérience des pairs et sur celle des maladies occasionnant des symptômes similaires. Les études en cours devraient mener à une conduite fondée sur les données probantes.
La Dre Rheault tient à remercier Mme Caroline Rheault, orthophoniste au Centre de réadaptation en déficience physique d’Youville de Saint-Jérôme, la Dre Suzanne Levitz, directrice adjointe des services professionnels de l’Hôpital Mont-Sinaï, à Montréal, ainsi que Mmes Claudia Riendeau, coordonnatrice du centre Inspir’er, et Dominique Massie, directrice générale, toutes deux de l’Association pulmonaire du Québec.
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