Entrevue

Entrevue avec le président de l’association de Montréal
des médecins éprouvés, mais toujours au rendez-vous

Claudine Hébert, Photo : Emmanuèle Garnier | 1 septembre 2020

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Depuis l’annonce de l’urgence sanitaire nationale en mars dernier, la région de Montréal a été la plus touchée du pays par la COVID-19. Une situation qui a grandement affecté le travail de l’ensemble des médecins de famille du territoire, souligne le Dr Michel Vachon, président de l’Association des médecins omnipraticiens de Montréal.

M.Q. — Comment les omnipraticiens de Montréal ont-ils vécu la crise ?

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M.V. – Il nous a fallu réagir très rapidement. Non seulement nous avons dû réorganiser toute la première ligne en créant des zones chaudes et des zones froides, mais nous avons aussi été plongés au cœur de la crise des CHSLD. Le territoire montréalais compte plus de 14 000 lits de soins de longue durée. Il y a eu le changement de personnel, la gestion des effectifs et les morts qui se comptaient par dizaines chaque jour. Plusieurs de nos membres ont vécu des situations excessivement difficiles.

De plus, nous avons tous eu à affronter, à différents degrés, la pénurie d’équipement de protection individuelle, que ce soit les masques, les blouses, les gants ou les visières. À ces pénuries s’ajoutaient les messages du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) qui ont créé beaucoup d’incertitude sur le terrain. Par exemple, peu après le début de la crise, on nous a demandé de prolonger l’utilisation de nos masques jetables. On nous disait même de les laver et qu’ils pouvaient être réutilisés jusqu’à cinq fois.

M.Q. — Cette pénurie d’équipement est-elle réglée ?

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M.V. – Non, elle est toujours très présente. Il y a quelques semaines, des médecins de famille pratiquant dans des cabinets de l’est de la ville ont reçu une lettre du ministère de la Santé leur disant que leur approvisionnement en équipement de protection individuelle serait désormais de leur responsabilité et que les établissements ne les fourniraient plus aux cliniques privées à partir du 15 juillet. Pourtant, le risque de deuxième vague demeure plus que probable. Ce genre de message nous inquiète énormément. Au plus fort de la crise, certaines cliniques ont d’ailleurs menacé de cesser de recevoir des patients faute d’avoir suffisamment d’équipement de protection. Pendant des semaines, plusieurs de mes collègues se sont même isolés de leur famille pour ne pas prendre le risque de les contaminer.

M.Q. — Comment cela s’est-il passé en clinique ?

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M.V. – Grâce à la téléconsultation – quelle belle révolution dans notre domaine ! –, la grande partie des rendez-vous ont pu, et peuvent toujours, avoir lieu à distance. Malgré tout, il y a eu des cas où certains patients ont compromis la sécurité du personnel médical.

M.Q. — Que s’est-il passé ?

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M.V. – À la Clinique médicale 3000 où je travaille, nous avons eu quelques patients qui, à leur arrivée, ont menti en répondant aux questions concernant les symptômes de la COVID-19. Ces personnes, qui ont vu un médecin, ont dû rapidement être isolées. Quelques-unes ont même été transférées illico dans une zone de soins intensifs consacrée à la COVID-19. Cette situation montre une fois de plus l’importance de fournir aux médecins de famille l’équipement de protection individuelle même dans les zones froides.

M.Q. — Quelles sont les autres conséquences de la COVID-19 que vous avez constatées ?

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M.V. – D’un côté, malgré notre accessibilité, plusieurs patients ont mis leurs soins de santé sur pause. De l’autre, plusieurs ont vu leur intervention chirurgicale retardée de plusieurs mois. Certains attendaient des biopsies de tumeurs potentiellement cancéreuses ou devaient entamer des traitements pour leur cancer. Ces situations ont non seulement entraîné de la détresse chez les patients, mais elles ont également accru la demande de prescriptions d’anti-inflammatoires ou de narcotiques. D’ailleurs, plusieurs de nos médecins en clinique signalent avoir été inondés de demandes de renouvellement de médicaments de toutes sortes. D’abord, de leurs propres patients, mais aussi de patients suivis par des spécialistes qui étaient plus difficiles à joindre. Toute cette gestion a exigé beaucoup de temps.

M.Q. — Comment se portent les médecins ?

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M.V. – Plusieurs de nos quelque 1800 membres présentent des signes d’épuisement. Nos médecins doivent pouvoir récupérer un peu. Il faut qu’ils fassent le plein d’énergie avant que la deuxième vague survienne cet automne avec le retour en classe. Nous savons que les consignes de distanciation sociale et de lavage de mains ne pourront pas être appliquées comme nous le souhaitons. En plus, l’éventuelle arrivée de la grippe saisonnière viendra compliquer davantage la situation particulière de Montréal.

M.Q. — Quelle est cette situation particulière ?

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M.V. – Actuellement, 35 % des médecins de famille de Montréal ont plus de 60 ans. Et ils suivent 38 % des patients montréalais. Parmi ces derniers, près d’un sur deux (45 %) est vulnérable. Par comparaison, dans l’ensemble de la province, 28 % des médecins ont de plus de 60 ans, et ils soignent 26 % de la population inscrite, dont moins du tiers (31 %) est vulnérable. Les particularités de Montréal ont d’importantes répercussions sur le terrain.

M.Q. — Quelles en sont les conséquences ?

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M.V. – Plusieurs de nos omnipraticiens de plus de 60 ans présentent des problèmes médicaux qui les rendent vulnérables à la COVID-19. Pour cette raison, un certain nombre ne donnent que des téléconsultations depuis le début de la crise. Or, ces médecins suivent une grande proportion de patients vulnérables qui nécessitent des soins donnés en personne. Il faut donc s’assurer que ces patients ont accès à d’autres médecins de famille afin de recevoir les traitements dont ils ont besoin, ce qui demande toute une réorganisation logistique. Plusieurs omnipraticiens ont aussi attrapé la COVID-19. D’autres ont dû se mettre en quarantaine après un déplacement.

M.Q. — Qu’aimeriez-vous dire à vos membres ?

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M.V. – Je veux remercier tous les médecins omnipraticiens du territoire ainsi que leurs familles qui ont accepté de les soutenir depuis le début de la pandémie. Nous devons être fiers du travail accompli sur le terrain, sur tous les plans. Jusqu’à maintenant, nous avons répondu présent. Malgré toutes les difficultés, jamais nous n’avons vécu une découverture sur le territoire. Nous avons été en mesure d’offrir des soins accessibles et de bonne qualité. Certains médecins ont fait le double, même le triple de leur temps. Certains dormaient sur place dans leur milieu de travail. Merci à tous !

Évidemment, nous avons tous hâte d’un retour à la normale. Quoique la définition du mot « normal » ne sera probablement jamais plus la même. Il faut donc continuer de travailler ensemble, de s’adapter, d’être en mode solution. Et surtout, on doit améliorer les canaux de communication entre le terrain et le ministre de la Santé et des Services sociaux. Il faut que ceux qui croient que la crise est terminée sachent que c’est loin d’être le cas.