Le Dr Claude Fortin, microbiologiste-infectiologue, exerce au Département de microbiologie médicale et d’infectiologie du CHUM. Il siège à titre de membre actif au Comité sur les analyses de laboratoire en lien avec les ITSS (CALI) de l’INSPQ. |
Avec seulement trois cas déclarés au Québec en 1998, il était possible de croire que la syphilis infectieuse était en voie d’élimination. Toutefois, cette infection a connu une résurgence au début de l’an 2000 pour atteindre plus de 500 cas déclarés chaque année depuis 2010 au Québec. Quoique cette résurgence touche principalement les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH), le nombre de cas chez les femmes en âge de procréer est aussi en hausse depuis 20091. Il est donc primordial que les praticiens soient en mesure de dépister, de reconnaître et d’amorcer la prise en charge de la syphilis infectieuse afin d’en réduire la transmission.
Évolution naturelle et manifestations cliniques de la syphilis infectieuse
La syphilis est une maladie causée par le spirochète T. pallidum, sous-espèce pallidum. Cette infection se transmet le plus souvent par contact direct d’une lésion active avec une muqueuse ou la peau. Le mode de transmission le plus fréquent est donc le contact sexuel, qu’il soit génital, oral ou anal. L’infection peut être asymptomatique et passer inaperçue. L’évolution naturelle de la syphilis symptomatique se caractérise par une période d’incubation, suivie de trois stades cliniques : primaire, secondaire et tertiaire. La syphilis latente correspond à la phase asymptomatique entre les stades secondaire et tertiaire et peut durer de quelques mois à plusieurs années (tableau I2). La syphilis est contagieuse durant les stades primaire et secondaire ainsi que pendant la phase de latence précoce. La transmission étant rare après la première année, on considère que la syphilis n’est plus contagieuse un an après le début de l’infection, même lorsqu’elle n’est pas traitée3,4.
L’envahissement du système nerveux central par T. pallidum peut survenir tôt dans la maladie. Dans environ 5 % des cas, pendant le stade secondaire correspondant à la dissémination hématogène de la maladie, l’envahissement du système nerveux central sera symptomatique. Une atteinte oculaire (principalement une uvéite antérieure) ou neurologique (principalement une méningite ou une atteinte d’un nerf crânien) peut survenir5 (figure 12).
En l’absence de traitement, la syphilis infectieuse se résoudra spontanément dans environ les deux tiers des cas. Un petit nombre de personnes non traitées se rendront au stade tertiaire où surviennent les complications tardives de la maladie de cinq à trente ans après l’infection, soit la gomme syphilitique, la syphilis cardiovasculaire et la neurosyphilis tertiaire3.
Évaluation clinique d’un possible cas de syphilis
L’examen physique d’un patient que le médecin soupçonne d’être atteint de syphilis comprend une attention particulière à la peau, aux muqueuses, aux ganglions et au système nerveux. De plus, tout patient qui présente des symptômes visuels devrait subir un examen du fond d’œil par lampe à fente. Puisque des signes ou des symptômes neurologiques ou ophtalmologiques constituent une indication de ponction lombaire, il est important de bien rechercher ces manifestations et d’en confirmer la présence afin d’orienter le patient adéquatement pour un complément d’évaluation6.
Il est également primordial de connaître les antécédents de traitement de la syphilis ainsi que les résultats d’épreuves sérologiques antérieures afin d’interpréter avec précision les résultats d’un profil sérologique. Ces éléments sont essentiels afin de différencier la syphilis infectieuse de la syphilis non infectieuse.
Épreuves sérologiques pour la détection de la syphilis
Puisque les épreuves de détection directe de la bactérie (ex. : fond noir) ne sont pas offertes de façon systématique dans les laboratoires du Québec, le diagnostic de syphilis repose sur le résultat de la sérologie. Il existe deux types d’épreuves sérologiques pour la détection de la syphilis : les épreuves non tréponémiques (ex. : test rapide de la réagine plasmatique ou RPR) et les épreuves tréponémiques (ex. : EIA/CIA et TPPA). Il est nécessaire de faire les deux pour poser un diagnostic de syphilis et prendre en charge un cas. Les épreuves non tréponémiques détectent des anticorps non spécifiques dirigés contre les cardiolipines, un antigène libéré dans la circulation après la réponse immune contre T. pallidum. Lorsqu’elles sont positives, ces épreuves aident à évaluer, d’une part, l’activité de la maladie et, d’autre part, l’efficacité du traitement de par leur nature quantitative. Les épreuves tréponémiques détectent des anticorps spécifiques anti-T. pallidum et confirment l’exposition à cette bactérie lorsqu’elles sont positives. La sensibilité des épreuves sérologiques est moindre pour la détection de la syphilis au stade primaire qu’aux stades subséquents7. La période de latence sérologique (« période fenêtre ») ne varie pas en fonction du type de test utilisé. En effet, tant les anticorps non tréponémiques que tréponémiques peuvent atteindre le seuil de détection de dix à quatre-vingt-dix jours après l’infection8.
Épreuves non tréponémiques
Le test RPR qualitatif est fait en premier. Lorsqu’il est réactif, la quantification du titre d’anticorps par analyse d’une série de dilutions de l’échantillon est effectuée. L’obtention du titre donne des résultats dont les valeurs progressent selon la séquence suivante : 1:1, 1:2, 1:4, 1:8, 1:16, 1:32, 1:64, 1:128, 1:256, etc.
Épreuves tréponémiques
Les essais immuno-enzymatiques (EIA ou CIA) sont utilisés par plusieurs laboratoires de biologie médicale du Québec pour la détection de la syphilis.
Épreuves de confirmation
Les sérums présentant certains profils sérologiques réactifs obtenus dans un laboratoire de biologie médicale de première ligne devront être soumis à des épreuves de référence effectuées par le Laboratoire de santé publique du Québec. Ces épreuves sont le TP-PA (Treponema pallidum Particle Agglutination Assay) et l’INNO-LIA (Line Immunoassay).
Algorithmes de détection de la syphilis en vigueur au Québec
Selon leur structure organisationnelle, les laboratoires de biologie médicale du Québec utilisent soit le RPR, soit l’essai immuno-enzymatique comme test initial pour la détection de la syphilis. Selon le type de test choisi au départ, les sérums qu’il faudra soumettre à un test de confirmation varient. La figure 22 indique ceux qui devront être confirmés par le Laboratoire de santé publique du Québec pour chacun des algorithmes en vigueur au Québec. Une grille d’interprétation des profils sérologiques les plus couramment obtenus à l’aide de ces algorithmes est facilement accessible dans le Guide sur le traitement pharmacologique des ITSS : Syphilis de l’INESSS9,10.
Diagnostic et dépistage
Que ce soit dans un contexte de dépistage chez un patient sans symptômes ou pour le diagnostic d’un patient présentant des signes et symptômes compatibles avec ceux de la syphilis, les épreuves de détection de la syphilis sont utilisées selon les mêmes algorithmes. Les indications de dépistage de la syphilis chez une personne sans symptômes sont précisées dans l’outil du MSSS intitulé : « ITSS à rechercher selon les facteurs de risque décelés ». L’offre d’un tel dépistage doit être refaite, de façon périodique et parfois à une fréquence accrue, dans certaines situations selon les facteurs de risque11.
Particularités de la syphilis primaire
Puisque le résultat sérologique peut être négatif au début de l’évolution du chancre, il faut répéter l’épreuve en cas de résultat négatif si une syphilis primaire est soupçonnée. Le moment optimal pour effectuer la deuxième sérologie est de deux à quatre semaines après le début des symptômes9.
Particularités de la réinfection
Puisque, dans la majorité des cas (de 75 % à 85 %), les résultats des épreuves tréponémiques demeurent positifs toute la vie, seul le test RPR permet de diagnostiquer une réinfection2. Ainsi, pour un patient dont le résultat au test précédent RPR était négatif, tout résultat positif (titre de 1:2 ou plus) indiquerait une nouvelle infection. Pour un patient dont le RPR précédent était positif, une hausse de deux dilutions ou de quatre fois le titre (ex. : passage de 1:2 à 1:8) pourrait faire croire à une réinfection8. Même après un traitement efficace, les anticorps non tréponémiques peuvent demeurer détectables dans le sérum, souvent à faible titre, pendant une longue période. Ce phénomène, appelé « cicatrice sérologique », survient dans une proportion non négligeable des cas (de 15 % à 41 %)12.
Prise en charge de la syphilis infectieuse et latente
En plus du traitement antibiotique, la prise en charge d’un patient ayant eu un diagnostic de syphilis infectieuse comprend le counselling sur les relations sexuelles, la notification des partenaires et le suivi. De plus, tel que nous l’avons précisé dans l’outil du MSSS intitulé : « ITSS à rechercher selon les facteurs de risque décelés »10, un patient ayant reçu un diagnostic de syphilis devrait subir un dépistage de l’infection à C. trachomatis, de l’infection gonococcique et de l’infection à VIH. Bien que la syphilis infectieuse soit une maladie dont le tableau clinique et les épreuves diagnostiques peuvent parfois paraître complexes, son traitement est assez simple. Le tableau II10 présente les diverses options thérapeutiques existantes. Il est important de souligner qu’au Québec, le médicament prescrit contre la syphilis est gratuit pour les personnes détentrices d’une carte d’assurance maladie valide, pourvu que le code K soit inscrit sur l’ordonnance.
Après l’injection de pénicilline pour le traitement de la syphilis infectieuse, une réaction fébrile aiguë pouvant s’accompagner de céphalées et de myalgies peut survenir. Il s’agit de la réaction de Jarish-Herxheimer, attribuable à la lyse des tréponèmes survenant dans les deux heures suivant l’injection et s’atténuant spontanément dans les 24 heures. Elle survient plus fréquemment au stade secondaire de la maladie. Il est important d’en informer le patient pour éviter des inquiétudes ou des consultations inutiles. Cette réaction peut être jugulée par un traitement de soutien à base d’antipyrétiques3.
Même traitée, la syphilis infectieuse demeure contagieuse aussi longtemps que des lésions cutanéomuqueuses sont présentes. Il est donc important de recommander au patient de s’abstenir de toutes relations sexuelles jusqu’à sept jours après le traitement unidose par la pénicilline G benzathine ou jusqu’à la fin d’un traitement par la doxycycline et la disparition des lésions cutanéomuqueuses. Il est aussi important de déclarer les cas de syphilis à la Direction de santé publique de votre région et d’apporter le soutien nécessaire au patient pour la notification de ses partenaires. La période de contagiosité varie en fonction du stade de l’infection10. L’outil du MSSS intitulé : « Les partenaires sexuels, il faut s’en occuper ! », indique avec précision quels partenaires sont à joindre et la conduite à tenir13.
Après le traitement de la syphilis infectieuse, il est très important de faire un suivi. Les objectifs du traitement sont la guérison clinique ainsi que la guérison sérologique, définie comme une diminution satisfaisante du titre de l’épreuve non tréponémique après l’antibiothérapie. La fréquence du suivi sérologique recommandé et les critères de la réponse sérologique sont précisés dans le guide de traitement pharmacologique de la syphilis de l’INESSS10.
La syphilis infectieuse demeure un défi en 2016. Une bonne prise en charge par les praticiens dès les premières étapes est essentielle pour bien maîtriser l’épidémie.
Retour sur le cas de Sébastien
Sébastien présente un tableau classique de syphilis secondaire. Les épreuves tréponémiques et non tréponémiques seront donc positives. En présence de symptômes visuels, un examen ophtalmologique à la lampe à fente sera fait. L’indication d’une ponction lombaire doit être évaluée. Il faudra dépister l’infection à C. trachomatis, l’infection gonococcique et l’infection à VIH. Les partenaires des six derniers mois de Sébastien devront recevoir une notification, et le cas de Sébastien devra être déclaré aux autorités de santé publique. Sébastien recevra un traitement par une injection de pénicilline G benzathine (2,4 millions d’unités) et un counselling sur la réaction de Jarish-Herxheimer et sur l’importance de s’abstenir d’avoir des relations sexuelles jusqu’à sept jours après le traitement et tant que les lésions cutanées ne seront pas disparues. //
ce que vous devez retenir
h Le résultat de la sérologie peut être négatif au début de l’évolution du chancre. Il faut alors répéter l’épreuve de deux à quatre semaines après le début des symptômes en cas de présomption de syphilis primaire.
h Le patient doit s’abstenir de toutes relations sexuelles jusqu’à sept jours après un traitement à la pénicilline G benzathine ou jusqu’à la fin d’un traitement à la doxycycline et la disparition des lésions cutanéomuqueuses.
h Une réaction fébrile aiguë pouvant être associée à des céphalées et à des myalgies peut survenir après l’injection de pénicilline dans les cas de syphilis infectieuse. Elle survient dans les deux heures suivant l’injection et s’atténue dans les 24 heures.
Pour en savoir plus...
h Sur l’interprétation des différents profils sérologiques, voir la référence 10.
h Sur le dépistage de la syphilis et sa fréquence, voir la référence 11.
h Sur les indications de ponction lombaire, voir la référence 6.
h Sur la notification et le traitement épidémiologique des partenaires, voir la référence 13.
h Sur le suivi et la réponse clinique, voir la référence 10.
Date de réception : le 16 février 2016
Date d’acceptation : le 9 avril 2016
Le Dr Claude Fortin a été invité au congrès de l’ICAAC à Washington en 2014 par ViiV Healthcare.
Bibliographie
1. Venne S, Lambert G, Blouin L et coll. Portrait des infections transmissibles sexuellement et par le sang au Québec : année 2013 (et projections 2014). Québec : Institut national de santé publique du Québec ; 2014. 95 p.
2. Fortin C, Baril JG, Laberge C et coll. La prise en charge et le traitement de la syphilis chez les adultes infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) : Guide pour les professionnels de la santé du Québec. Québec : ministère de la Santé et des Services sociaux ; 2016. 59 p.
3. Radolf JD, Tramont EC, Salazar JC. Syphilis (Treponema pallidum) Dans : Benneth JE, Dolin R, Blaser MJ, rédacteurs. Mandell, Douglas, and Bennett’s Principles and Practice of Infectious Diseases. 8e éd. Philadelphie : Elsevier Saunders ; 2015. p. 2684-2709.
4. Fleury E, Laberge C, Roy et coll. Guide québécois de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang : Mise à jour 2014. Québec : ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec ; 2014. 227 p.
5. Lukehart SA, Hook EW 3rd, Baker-Zander SA et coll. Invasion of the central nervous system by Treponema pallidum: implications for diagnosis and treatment. Ann Intern Med 1988 ; 109 (11) : 855-62.
6. Ministère de la Santé et des Services sociaux. ITSS à rechercher selon les facteurs de risque décelés, mise à jour de juin 2014. Québec : le Ministère ; 2014. 3 p.
7. Jorgensen JH, Pfaller MA, Carroll KC et coll. Manual of Clinical Microbiology. 11e éd. Washington : American Society for Microbiology Press ; 2015. p 1055.
8. Fortin C, Trudelle A, Labbé AC et coll. Analyses de laboratoire recommandées pour le dépistage de la syphilis, Québec. Québec : Institut national de santé publique du Québec ; 2016.
9. Fortin, C, Trudelle A, Labbé AC et coll. Mise à jour des algorithmes de sérodiagnostic de la syphilis. Québec : Institut national de santé publique du Québec ; 2016.
10. Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. Traitement pharmacologique des ITSS : Syphilis. Québec : l’Institut ; 2016. 6 p.
11. Agence de la santé publique du Canada. Lignes directrices canadiennes sur les infections transmissibles sexuellement. Ottawa : l’ Agence ; 2014.
12. Romanowski B, Sutherland R, Fick GH et coll. Serologic response to treatment of infectious syphilis. Ann Intern Med 1991 ; 114 (12) : 1005-9.
13. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Les partenaires sexuels, il faut s’en occuper ! Québec : le Ministère ; 2014. 4 p.