Le Dr Marc Steben, omnipraticien, est médecin-conseil à l’unité ITSS de l’Institut national de santé publique du Québec et directeur médical de la Clinique A rue McGill au sein du GMF l’Actuel, à Montréal. La Dre Gabrielle Landry, omnipraticienne, exerce à la Clinique A rue McGill et à la Clinique médicale l’Actuel. Mme Rachel Cruz de Menezes, infirmière, travaille au CIUSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal. |
Contexte épidémiologique
Une étude menée sur des femmes enceintes de la Colombie-Britannique a révélé que le taux de séropositivité était de 57 % pour le VHS-1 et de 13 % pour le VHS-21. Une fois ajusté en fonction de l’âge, le taux de séropositivité pour le VHS-2 dans la population générale était de 17 % dans ce groupe. Il augmentait de 7,1 % chez les jeunes de 15 à 19 ans à 28,1 % chez les personnes de 40 à 44 ans1.
Selon l’Enquête canadienne sur les mesures de santé de 2009 à 2011, la séroprévalence du VHS-2 était de 13,6 % chez les personnes de 14 à 59 ans2, groupe qui comprend 2,9 millions de Canadiens. La séroprévalence était plus élevée chez les femmes (16,1 %) que chez les hommes (11 %)2. Par ailleurs, l’écart entre les sexes était plus marqué chez les jeunes, les personnes ayant un diplôme d’études postsecondaires et celles de race blanche. La prévalence du VHS-2 était de 6,1 % chez les personnes de 14 à 34 ans, de 19,1 % chez celles de 35 à 49 ans et de 18,9 % chez celles de 50 à 59 ans. Le taux de personnes qui se savaient atteintes du VHS-2 était de seulement 6 %2.
Enfin, contrairement à certaines études américaines, l’étude canadienne n’a noté aucune différence selon l’état matrimonial, le revenu du ménage, le niveau de scolarité ou l’origine raciale.
La sérologie comme aide diagnostique : lumière verte
Cas no 1
Roger se présente pour des lésions génitales récidivantes sur le pénis depuis plusieurs années. Il s’inquiète et se présente à votre cabinet, même s’il n’a pas de lésions actives, pour savoir si vous pourriez lui prescrire une pommade qui l’aiderait à guérir plus vite. Lui prescrirez-vous un test sérologique pour le virus Herpes simplex ?
Si une personne présente des ulcérations génitales, le diagnostic différentiel doit inclure l’herpès génital, la cause de lésions génitales la plus fréquente dans le monde3. Un test de détection du VHS par culture ou technique d’amplification des acides nucléiques (TAAN) est alors recommandé, car un résultat positif confirme l’herpès génital ainsi que le sérotype du VHS en cause4.
En l’absence de lésions, mais lorsque les antécédents du patient sont compatibles avec l’herpès génital récidivant depuis plus de trois mois, comme chez Roger, il est acceptable de demander une sérologie spécifique du VHS. En cas de résultat négatif, il serait prudent d’en refaire une après six mois du début des signes et des symptômes.
En raison des antécédents de Roger, le délai de détection, qui peut être supérieur à trois mois pour le VHS, n’est pas en jeu. En effet, s’il avait l’herpès génital, la séroconversion du VHS aurait déjà eu lieu. En cas de résultat négatif pour le VHS-1 et le VHS-2, le diagnostic d’herpès génital pourrait ainsi être écarté. En cas de résultat positif pour le VHS-2 chez quelqu’un qui a déjà présenté des lésions génitales récidivantes, le diagnostic d’herpès génital est très probable. En effet, la valeur prédictive positive d’une sérologie du VHS est très élevée, si le résultat est égal ou supérieur à 3,5 par rapport à un résultat faiblement positif (de 1,1 à < 3,5)5.
Si les résultats sérologiques montrent la présence de VHS-1, il est toutefois impossible de savoir si la personne est atteinte d’herpès labial, d’herpès génital ou des deux ! En général, les récidives d’herpès génital sont plus rares pour le VHS-1 que pour le VHS-2. Il faut se rappeler que des résultats sérologiques positifs pour le VIH, la syphilis ou les hépatites B ou C doivent être confirmés par d’autres tests afin d’augmenter la valeur prédictive positive, mais que ce n’est pas possible pour le VHS au Québec. Il ne faut pas non plus oublier que le fait d’être atteint d’herpès labial ne protège pas contre l’herpès génital de type 1 ou 2. Le tableau clinique sera toutefois plus bénin.
La sérologie du VHS est un bon outil qui nous aide à poser un diagnostic présomptif d’herpès génital. La personne doit toutefois consulter un médecin en cas de lésions afin de faire un test d’identification virale de manière à confirmer le diagnostic.
Dans les cas initiaux d’herpès génital caractérisés par des signes et des symptômes généraux, des lésions bilatérales et des lésions de nature différente (pustules, ulcérations et lésions croûtées lors du même épisode), la sérologie du VHS peut faciliter le diagnostic si on respecte la période de séroconversion de trois à six mois après le début des signes et des symptômes d’infection et qu’on compare le résultat obtenu à ceux du sérum prélevé au moment des lésions initiales. Il faudra alors inscrire une note sur la demande pour que le laboratoire garde le sérum initial aux fins de comparaison ultérieure. Cette façon de faire n’est toutefois recommandée que lorsque l’accès au test d’identification virale n’est pas disponible. Il ne s’agit pas d’une pratique idéale.
La sérologie du VHS comme test de dépistage : lumière rouge
Le dépistage est un des piliers de la prévention des ITSS et se fait chez les personnes sans signes ni symptômes, mais présentant des facteurs de risque. Avoir un partenaire unique qui a eu plusieurs partenaires constitue un des critères de dépistage des ITSS, selon le Guide québécois de dépistage des ITSS6. Cependant, la sérologie du VHS en l’absence d’antécédents cliniques compatibles ne remplit pas les conditions d’un bon test de dépistage, notamment en raison de la possibilité de faux positifs et de l’anxiété qui s’ensuit, de l’imposition de choix difficiles de divulgation, de prise potentielle de moyens préventifs à vie, de l’étiquetage et bien sûr de la stigmatisation (encadré7). De plus, le dépistage est approprié lorsqu’un examen efficace et acceptable de la population a lieu et que le problème constitue une menace grave pour la santé publique8. Par ailleurs, la période de dépistage idéale est inconnue, car la période de séroconversion peut dépasser trois mois. Seulement 73 % de celles ayant une infection primaire à VHS-1, 73 % des personnes ayant une infection non primaire à VHS-2 et 93 % de celles ayant une infection primaire à VHS-2 obtiendront des résultats positifs aux tests sérologiques existants après trois mois9.
Cas no 2
Marie vient de mettre fin à sa relation avec un partenaire pour le moins volage. Elle est complètement dévastée. Elle est aussi paniquée, car son partenaire n’a jamais mis de condom avec elle depuis leur dépistage d’ITSS au début de leur fréquentation il y a maintenant presque deux ans. Bien qu’elle n’ait ni signes ni symptômes, elle veut subir un dépistage de toutes les ITSS, notamment de l’herpès génital. Lui prescrirez-vous un dépistage sérologique de l’herpès génital ?
Si vous aviez accepté de faire le dépistage de l’herpès génital de Marie, quelle serait votre réaction aux résultats suivants ?
h Anticorps anti-VHS-1 à 8,7 et anti-VHS-2 à 7,6 :
h Réaction croisée où un titre élevé d’anticorps contre le VHS-1 entraîne un faux positif pour le VHS-2 ?
h Infection labiale par le VHS-1 et génitale par le VHS-2 ?
h Anticorps anti-VHS-1 à 3,6 et anti-VHS-2 à 0,3 :
h Herpès labial ou herpès génital à VHS-1 ?
h Herpès labial et herpès génital par VHS-1 ?
h En raison de la forte prévalence du VHS-1, il est impossible de déterminer le foyer d’infection en l’absence de symptômes. En effet, le résultat est positif que le patient soit atteint d’herpès labial, d’herpès génital simple ou des deux !
h Anticorps anti-VHS-1 à 0,2 et anticorps anti-VHS-2 à 2,7 :
h Un faux positif ou un vrai faible positif pour le VHS-2 ?
Il est difficile de répondre avec certitude à toutes ces situations. Des hypothèses sont possibles, mais pas des réponses claires, nettes et précises comme nos patients les aiment. Le tableau I5 indique l’interprétation des résultats du test sérologique du VHS.
Et la question définitive qui revient dans le dépistage du VHS est : Que recommanderez-vous comme mesure préventive dans chacun de ces cas ? Divulgation rapide au partenaire, condom, digue dentaire, valacyclovir en prophylaxie quotidienne, césarienne ? Quand on ne sait pas comment réagir devant un résultat positif, on ne fait pas le dépistage, car les risques sont alors manifestement plus grands que les avantages ! Avant de demander un test de dépistage, le clinicien doit s’assurer que le tort que ce test pourrait causer à la personne est vraiment très faible. De toute évidence, le test sérologique du VHS ne satisfait pas à ce critère.
Pourquoi la sérologie du VHS n’est pas un bon test de dépistage ?
Les raisons sont multiples.
h Le délai de détection est particulièrement long et peut facilement dépasser trois mois.
h Un résultat sérologique positif, surtout pour le VHS-1, ne permet pas de préciser le foyer de l’infection à VHS.
h La sensibilité et surtout la spécificité du test sérologique sont inférieures à 100 %, ce qui donne une mauvaise valeur prédictive positive dans les populations où la prévalence est faible.
h L’absence de test de confirmation, comme pour les autres ITSS détectables par sérologie (ex. : hépatite B, hépatite C, infection à VIH et syphilis) rend l’interprétation des résultats pour le moins hasardeuse.
La valeur prédictive positive, ou la possibilité qu’un résultat positif soit un vrai positif, dans une population où la prévalence de l’herpès génital à VHS-2 est de 5 % serait de 71 %. Donc, 29 % des personnes à faible risque obtiendraient un résultat faux positif10. Le test sérologique est toujours plus fiable lorsque la prévalence attendue d’une infection est élevée. Par conséquent, il n’est pas surprenant qu’il y ait moins de faux positifs chez les gens ayant déjà eu des lésions que chez ceux sans symptômes. Le tableau II10 décrit les effets de la prévalence du VHS sur la performance des tests de sérologie spécifique de type VHS.
Le comité sur les analyses de laboratoire en lien avec les ITSS (CALI) déconseille les sérologies du VHS dans les situations suivantes :
h dépistage dans les populations ayant un risque accru d’ITSS, comme les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes et les personnes ayant des partenaires multiples ;
h dépistage systématique chez la femme enceinte ;
h dépistage dans la population générale.
Lorsque le résultat d’un test est transmis au patient dans un contexte d’incertitude et d’hypothèses, le dépistage ne devrait pas avoir lieu. Un point, c’est tout !
Il n’est donc pas conseillé de prescrire un test de dépistage sérologique du VHS à Marie.
La sérologie du VHS pour éviter la transmission de l’infection : lumière jaune
Cas no 3
Thomas s’inquiète. Sa nouvelle copine lui propose de passer des tests de dépistage d’ITSS, puis d’arrêter le condom. Il est particulièrement embêté, car il a vécu sept ans avec une partenaire qui avait de fréquentes crises d’herpès génital à VHS-2 confirmé par culture. Il n’a mis un condom avec sa nouvelle copine que les trois premiers mois, mais n’a jamais eu de lésion d’herpès génital. Il a peur d’être porteur du VHS-2 et de le transmettre à sa copine ou à son futur bébé.
Feriez-vous passer des tests d’herpès génital à Thomas en connaissant son histoire ? La plupart des personnes infectées par le VHS-2 ne le savent pas, et le taux annuel de transmission du VHS-2 de la femme à l’homme est de 4,5 %11. La sérologie serait donc justifiée, car la probabilité que Thomas ait été infecté pendant ces sept ans est assez élevée. Si le résultat était positif, sa partenaire pourrait alors être testée pour voir s’il y a séroconcordance ou sérodiscordance afin de mieux choisir les moyens préventifs avant et pendant la grossesse. Mais, car il y a un mais, la sérologie pourrait donner un faux négatif ou un faux positif. En cas de résultat positif, sa partenaire devrait tout de même être testée, malgré qu’elle ait aussi un risque de faux positif ou de faux négatif.
Comme la majorité des cas d’herpès néonatal au Canada sont causés par le VHS-1, il est prudent de dire aux femmes enceintes d’éviter les contacts de la bouche de leur partenaire avec leur vulve durant la grossesse, encore plus au troisième trimestre. Dans ce cas-ci, toutefois, si Thomas était séropositif pour le VHS-1, ce conseil s’appliquerait même si vous ignorez s’il est atteint d’un herpès labial, d’un herpès génital ou des deux !
Si Thomas était séropositif pour le VHS-2, vous pourriez lui prescrire du valacyclovir en prophylaxie quotidienne, lui recommander le port du condom même pendant la grossesse et lui dire de consulter un médecin pour une confirmation par test viral en cas de lésions12. Toutefois, la prophylaxie par le valacyclovir ne serait pas recommandée pour le VHS-1.
Conclusion
La sérologie du VHS est un outil qui peut faciliter le diagnostic de l’herpès chez les personnes qui présentent des lésions récidivantes. Toutefois, elle peut aussi nuire au test de dépistage du VHS-2 en raison de faux positifs et parce que le test de dépistage du VHS-1 n’indique pas le foyer de l’infection. La sérologie du VHS peut aider un couple sérodiscordant à choisir les méthodes qu’ils jugeront nécessaires et appropriées avant ou pendant la grossesse pour prévenir la transmission du virus. //
ce que vous devez retenir
h La sérologie du VHS doit être prescrite pour faciliter le diagnostic ou choisir les moyens de prévention en cas de probabilité de sérodiscordance au sein du couple, mais pas pour le dépistage.
h Interpréter les résultats de la sérologie du VHS peut s’avérer complexe et nécessiter l’aide d’un collègue expérimenté.
h La sérologie du VHS comporte des taux de faux positifs et de faux négatifs trop importants pour en faire un bon test de dépistage, sans compter qu’il n’existe pas de test pour confirmer des résultats positifs.
Pour en savoir plus...
Pour une revue générale de la transmission de l’herpès génital
h Steben M, Sénéchal K. Prévenir la transmission de l’herpès génital : une question de négociation ! Le Médecin du Québec 2006 ; 41 (2) : 63-7.
Date de réception : le 19 mars 2016
Date d’acceptation : le 18 avril 2016
Le Dr Marc Steben a reçu de 2014 à 2016 des commandites, des subventions de recherche, des honoraires pour des consultations et des conférences ainsi que des allocations de voyage pour présenter dans des congrès pour les entreprises suivantes : Actavis/Allergan, Becton-Dickinson, Cepheid, Genocea Biosciences, Merck, Roche Molecular Systems, Bayer, Laboratoires BNK, Gamma-Dynacare, Hologic Gen-Probe, Paladin Labs et Valeant. La Dre Gabrielle Landry a été conférencière pour Merck, ViiV Healthcare, Gilead et AbbVie de 2013 à 2016. Mme Rachel Cruz de Menezes n’a signalé aucun conflit d’intérêts.
Bibliographie
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3. Organisation mondiale de la Santé. Guidelines for the management of sexually transmitted infections. Genève : l’Organisation ; 2003. 98 p.
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6. Fleury É, Laberge C, Roy S et coll. Guide québécois de dépistage : infections transmissibles sexuellement et par le sang. Québec : ministère de la Santé et des Services sociaux ; 2014. 239 p.
7. Fortin J, Fayard A. Stigmatisation : quel impact sur la santé ? La santé de l’homme 2012 ; 419 : 12-3.
8. Mathias R, Buxton J, Talbot J et coll. Notions de santé des populations, un cybermanuel sur les concepts de santé publique à l’usage des cliniciens. (chapitre 9 : Le dépistage). Ottawa : Association des facultés de médecine du Canada ; 2016.
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11. Mertz GJ. Benedetti, Ashley R et coll. Risk factors for the sexual transmission of genital herpes. Ann Intern Med 1992 ; 116 (3) : 197-202.
12. Money D, Steben M. Directive clinique sur la prise en charge du virus de l’herpès simplex pendant la grossesse. J Obstet Gynaecol Can 2008 ; (30) 6 : 520-6.